vendredi 19 avril 2013

Froide Passion.

 Gang of Four, At Home He's a Tourist, 1979.

Tout ce qui s’est fait de valable depuis deux siècles, dans tous les domaines, s’est fait contre le sentiment romantique de la vie, c’est-à-dire aussi en en tenant compte. Les Poésies de Lautréamont, les Lettres de non-amour de Chklovski, les Dialogues de Deleuze-Parnet, l’album Entertainment de Gang of Four dessinent un front que peuplent la froide passion de Durruti, les meilleures intuitions de Lénine et du féminisme italien, les discours de Huey P. Newton, la guérilla urbaine et l’air qui souffle dans la villa Savoye. Tout cela relève de ce que nous appellerons, par opposition, le sentiment blanquiste de la vie. L’Éternité par les astres et Instructions pour une prise d’armes en sont dans ce volume les plus pures expressions. Partir de ce qui est là, et non de ce qui manque, de ce qui ferait, dit-on, défaut au réel. Mépriser les obstacles comme les personnes. N’attendre jamais, opérer avec ceux qui sont là. S’appréhender soi-même, appréhender les êtres et les situations non comme des entités, mais comme parcourus de lignes et de plans, traversés de fatalités. Saisir le possible non comme un halo qui nimberait les êtres, mais comme le produit d’une collision entre ces fatalités. Pas d’arrière-monde, de rêveries, de récriminations, d’explications. "On ne se console que trop". Renoncer à l’idée de chaos, simple transcription mentale du renoncement – "il n’a jamais existé, il n’existera jamais l’ombre d’un chaos nulle part". Une fois recensé ce qui est là, s’organiser. Ne reculer devant aucune conséquence logique. Ceux qui parlent de révolution sans se soucier de la question des armes et du ravitaillement ont déjà des cadavres sur les bras. Laisser aux métaphysiciens les questions d’origine et de finalité, l’ici et maintenant pour tout commencement, et ce que nous pouvons pratiquement y faire pour seul but sérieux. Si l’état de choses est intenable, ce n’est pas parce que ceci..., parce que cela..., mais parce que j’y suis impuissant. Ne jamais opposer les nécessités de la pensée et celles de l’action. Rester ferme dans ces moments de reflux où il faut tout reprendre, seul, depuis le début : on n’est jamais seul avec la vérité. Une telle façon d’être ne trouvera aucune excuse aux yeux de ceux dont la vie n’est qu’une savante collection de justifications. Face à elle, le ressentiment s’arme d’invectives, dénonce la "prise de pouvoir", la "mégalomanie", dresse ses cordons sanitaires de mauvaise foi, de bêtise et de contentement ; il prononce la mise au ban du monstre qui semble en passe de s’extraire du troupeau humain.

Comité Invisible, Préface in Maintenant il Faut des Armes, Éditions La Fabrique, 2007, p.16-17.

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